Tout le monde parle de Maripier Morin

Lettre d’opinion par une intervenante du CALACS L’Ancrage

 

Le débat concernant Maripier Morin suscite des réactions depuis des mois. On en entend parler dans les médias, on en parle dans nos conversations d’ami(e)s ou de famille, on voit des articles circuler et différentes opinions à son propos. Pour se remettre en contexte, voici les accusations qui pèsent contre l’animatrice : harcèlement sexuel, agressions physiques et propos discriminatoires de nature racistes.

Lors de son passage à Tout le monde en parle, Maripier Morin venait à sa propre défense. Elle a plaidé la carte de l’alcoolisme et de la jeune femme en soif d’amour qui n’avait pas de mauvaise intention. Après avoir écouté son entrevue, j’étais ambivalente. Son désespoir était visible et mon jugement a été altéré par sa vulnérabilité pendant quelques minutes. Elle s’est présentée émotive, fragile. Ce sont des facteurs qui peuvent influencer l’opinion des gens en sa faveur. Et n’est-ce pas son but ? Après 9 mois d’absence, elle enchaîne les contrats. C’est évident : elle veut revenir.

J’ai tenté de déconstruire des propos incohérents et des opinions qui sont teintés par des mythes sur les agressions à caractère sexuel qui entretiennent la culture du viol et que les CALACS (Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel) tentent de défaire depuis des décennies.

 

L’intoxication volontaire et les agressions : À qui la faute?

L’alcool ou la drogue n’excuse rien. Les agresseur(e)s utilisent ce prétexte pour excuser l’agression et se déresponsabiliser.

De la même façon qu’une personne qui cause un accident de voiture alors qu’elle est en état d’ébriété, la personne qui commet une agression à caractère sexuel alors qu’elle a bu est responsable de ses gestes. De plus, c’est un double discours de dire qu’un(e) agresseur(e) en état de consommation est un facteur de déresponsabilisation et de dire que l’intoxication volontaire de la victime est un élément incriminant. Ceci est incohérent et inéquitable.

 

La banalisation du harcèlement sexuel

Les conséquences du harcèlement sexuel peuvent être aussi importantes que celles d’une agression sexuelle. Éric Salvail aussi passait tout sous « un aspect humoristique » et banalisait ses gestes, ses paroles. Ce n’est pas parce qu’on a été témoin de cette situation un nombre incalculable de fois que ça la rend acceptable. Aussi, rappelons-nous que pendant la dernière vague de dénonciation, nous avons appris, par une enquête du Devoir, que Maripier avait déjà été rencontré, en 2018, sur son talk-show Maripier! pour lui demander de cesser le harcèlement sexuel à l’égard des membres de l’équipe. Quelle excuse avons-nous dans ce cas-ci?

 

« Pourquoi tu n’as pas dénoncé quand c’est arrivé? »

Un nouvel article de La Presse+ a récolté 5 témoignages supplémentaires. Il y en avait d’autres aussi avant cet article. Les personnes ont toutes choisi de ne pas dévoiler leur identité. Elles ont peur des messages haineux et des menaces de mort, peur de mettre leur carrière en jeu. Certaines personnes craignent même la revoir, de devoir retravailler avec elle. N’est-ce pas suffisant pour les diffuseurs et producteurs? Un milieu de travail se doit d’être exempt de harcèlement sexuel, de dénigrements racistes. Mais ça ne semble pas toujours la priorité.

Une victime sur cinq n’a jamais confié à quelqu’un avoir vécu une agression sexuelle dans l’enfance.

On peut comprendre pourquoi en voyant les représailles dont Safia Nolin a été victime.

 

« Il y a quelque chose de sain dans la réhabilitation »

C’est vrai. Est-ce que ça veut dire que tous les présumés agresseur(e)s doivent retrouver la même position de pouvoir avec laquelle ils ont exercé la violence ? Pas nécessairement. Le principe de réhabilitation sociale est un long processus qui est surtout utilisé dans un contexte judiciaire. La réhabilitation vient lorsqu’on croit la personne prête à se réinsérer socialement. Elle commence tranquillement à récupérer le droit d’à nouveau contribuer en tant que citoyen(ne), se trouver un travail, un appartement, une vie sociale, etc. On reconnait que la personne est humaine et qu’elle a fait des erreurs, et on lui donne le droit d’exercer son pouvoir de citoyen(ne). Être dans la sphère publique, ce n’est pas un droit, c’est un privilège. Un privilège peut être retiré à tout moment. Bref, qu’on choisisse de lui pardonner ou non, ça n’efface pas tout.

 

Pour terminer, être en désaccord avec le retour de Maripier Morin ne fait pas d’elle un monstre. Je la vois comme quelqu’un qui a profité de ses privilèges, qui a pensé être invincible : le danger d’un grand pouvoir. Cependant, il y a une tendance vers une meilleure société exempte de violence qui tente de responsabiliser les gens. Je pense que c’est sain, ça aussi. Le pouvoir vient avec des responsabilités et les conséquences de nos gestes peuvent parfois être permanentes. Je ne souhaite pas de mal à Maripier Morin, mais au-delà de tout, j’aimerais qu’on laisse enfin place aux victimes. J’aimerais qu’on les considère assez pour les consulter, les inviter sur des plateaux de tournage, les mettre au cœur du processus. J’aimerais que les diffuseurs prennent davantage à cœur le bien-être, l’intégrité et la sécurité de tous(tes) ses employé(e)s sans exception, et non un(e) au détriment de l’autre. Je veux vivre dans une société qui considère et valorise autant la parole d’une femme blanche, cis, hétérosexuelle et considérée belle, qu’une femme lesbienne ayant des origines arabes et qui ne cadrent pas dans un idéal de beauté d’une société axée sur la minceur et la conformité. Il est temps.